Les dauphins, Patrick Modiano, la mémoire
Hier soir nous avons mangé de délicieuses ravioles du Dauphiné assis à la terrasse d'une brasserie à Voiron. Le service était un peu long et nous nous sommes attardés avec bonheur dans cet air chaud et animé d'une ville du sud, que la brise venue des sommets tempérait à peine. Quelques rares lumières clignotaient dans les grandes masses sombres des préalpes. Plus haut, c'était le grand silence de la montagne.
Dans la première page de son dernier livre Modiano évoque les souvenirs épars, que l'oubli n'a pas recouvert. Tous ces visages, ces objets, ces couleurs, ces saveurs, rescapés de la mémoire.
Notre passé est formé de "matière sombre", à l'image de l'univers. La plus grande partie de ce que nous vivons est bientôt englouti, choses et gens mêlés.
En lisant Modiano, je me dis que ma vie professionnelle itinérante a pu accélerer ce mouvement de désintégration, tant de personnes croisées dans les établissements scolaires, dans les vestiaires des stades, dans les églises, les partis politiques, les syndicats. Tous ces carnets disparus remplis de noms, d'adresses, de numéros de téléphone. En même temps chaque lieu, Royan, Beauvais, Senlis, Annecy, Thônes, Grenoble, Villard-Bonot, Monflanquin, Marmande, Langon, Rennes, Avranches, Granville préserve dans son décor l'immense foule, comme autant de reliquaires.J' associe des personnes à ces pays, des visages à ces paysages.
Une fidélité malgré tout.
Autre question: ces courtes séquences qui ne sont pas rattachées à l'histoire que nous nous écrivons, n'appartiennent-elles pas à notre vie aussi?