A Charavines, Voltaire, 1739 (1)
Nous voici arrivés à Charavines, en Isère, après cette longue traversée de la France.
Nous avions dormi la veille à Bourges.
Comme l'hôtelier était à court de pain, nous sommes allés prendre notre petit-déjeuner dans un autre établissement. Les bévues incroyables de la jeune employée qui nous y a reçus: incapable de prendre une commande, de lire une carte de menus, d'écouter les clients, de rendre la monnaie. Nous avons bien essayé de la convaincre qu'elle se trompait dans sa facturation à sa défaveur. Un mur. Nous avons dû renoncer. Débuts dans le métier calamiteux? Journée de grand trouble? Quand l'incompétence atteint ce niveau, cela passe l'entendement...
Heures de voiture. Itinéraire que j'ai souvent suivi: Bourges, Moulins, Lyon... Je traverse ces contrées avec impatience, compte les kilomètres avec une certaine tristesse. Le seul reproche-mais il est grand-que je fais à ces lieux: ils me séparent de mes chères montagnes.
Arrivés en fin d'après-midi dans le Dauphiné, nous faisons halte au bord du lac de Paladru. On ne voit pas la montagne ici, mais on la sent proche...
J'ai ouvert avec un vif bonheur ma Pléïade de ce voyage, le deuxième volume de la correspondance de Voltaire. 1739, l'écrivain a 45 ans, vit à Cirey chez Mme du Chatelet, où il travaille, se plaint et déploie une énergie incroyable à mener une guerre de pamphlets contre ses rivaux...
Dès la première lettre adressée à Frédéric de Prusse, l'esprit fuse. Des limites orthographiques du pouvoir des princes fussent-ils éclairés: "toute la grandeur de votre génie ne peut rien contre les syllabes, et vous n'êtes pas le maître de mettre un "G" où il n'y en a pas". Voltaire reproche à Frédéric d'écrire "opignon" et "visse"...