Bordeaux, front de Garonne
Bordeaux n'a été longtemps pour moi qu'une trop longue rocade sur le chemin des Pyrénées. J'ai découvert cette ville à l'âge de 25 ans alors que j'étais en poste à Royan. On arrivait des Charentes par cette route qui traverse les vignobles du Blayais, de maigres côteaux, des villages de pierres de calcaire si exotiques pour un Breton. Passé le pont d'Aquitaine, on abordait la ville par des faubourgs industriels ingrats . Un détour par des rues pavées débouchait sur le quai des Chartrons aux façades noircies, avec bien des fenêtres emmurées, des bars louches aux douteux attraits. Je stationnais ma voiture en bordure du fleuve sur des parkings entre deux entrepôts à l'abandon Garonne charriait des eaux dorées, chargées des alluvions de toute l'Aquitaine.Un port sans bâteaux! voilà l'image que donnait Bordeaux. Je mangeais des chichis près des colonnes rostrales des Quinquonces puis me faufilais dans l'intense circulation d'un samedi. Je grimpais quatre à quatre les marches du grand théâtre-j'y ai vu et écouté le premier opéra de ma vie-j'admirais les immeubles somptueux des allées de Tourny, mes yeux notaient l'heure sur le cadran d'une horloge urbaine puis je m'enfonçais dans la foule de la rue sainte Catherine, artère commerçante et piétonne qui me paraissait interminable. Ma promenade me conduisait toujours jusqu'à la librairie Mollat qui m'a semblé jusqu'à maintenant être la plus belle librairie qu'on puisse trouver en France avec ses très hauts rayonnages qu'on atteignait par des échelles, son choix gigantesque d'ouvrages et j'en sortais une heure plus tard avec un sac rempli de livres que je ramenais avec une vive joie à Royan. Je ne m'aventurais jamais ailleurs et j'ignorais que cette cité me donnerait tant, que le grand amour de ma vie m'y attendait, y vivait quelque part du côté de cette rue des pilliers de tutelle.
Dix huit années ont passé depuis ces premiers contacts avec Bordeaux.Je m'y promène ce mardi 9 août 2005 par une journée de feu d'un été bordelais.Le tramway d'une allure futuriste glisse dans les rues. Bordeaux a démoli ses entrepôts , s'est ouverte sur son fleuve. De terrasses d'un quai des chartrons réhabilité, j'admire la douce et si longue concavité de son port que le clocher de Saint-Michel semble avoir changé de rive.Bordeaux a un des plus beaux fronts de fleuve d'Europe, plus noble que Londres ou Paris. je le place juste après Saint Petersbourg.